jeudi 24 novembre 2016

ATELIER AU CENTRE PENITENTIAIRE DE MAUBEUGE

Le projet s’appelle « ATELIER RADIOPHONIQUE ».

Sa visée clairement annoncée est la production d’émissions susceptibles d’être diffusées sur des médias radiophoniques. Cela signifie aussi que nous (les acteurs de l’atelier) allons couvrir plusieurs « formats » de la production radiophonique : reportages, documentaires, journaux d’informations, contes radiophoniques, contes enregistrés en direct et en public, petits billets, cartes postales sonores, etc…

Mais comment couvrir ce champ dans un lieu empêché de mouvements, dans lequel la circulation de l’information est rare et très réglementée ?

Par ailleurs, le fond de la raison de l’existence de cet atelier, est d’arracher une population à l’invisibilité, aux fantasmes qui justifient son occultation, son éviction, comme s’il était possible de nier que les détenus sont liés à la communauté humaine comme nos frères, nos pères, nos voisins, nos amis, nos étrangers, nous enfin.

Donc, il faut que par leur voix ils traversent les murs, et il faut qu’ils puissent physiquement « sortir » pour accomplir leur tâche de membres de la société contre notre gré ou avec notre aide.

Ces sorties sont donc des missions qu’ils acceptent de prendre en charge. Voilà le rôle de la production radiophonique justifié, mis à sa place : sortir au musée ou ailleurs pour avoir l’occasion d’accomplir son travail d’acteur du monde.

Il est de ma responsabilité de leur proposer les attendus de la mission et de leur donner les moyens de l’accomplir. De là vient le thème choisi, de la viennent les différentes phases de l’action : étude du thème, venue de conférenciers, étude des techniques radiophoniques, formations avec intervenants expérimentés, apprentissages des techniques ou visées de l’interview.
Alors la sortie peut se faire et leur existence passer de l’ombre à la lumière un court instant mais quand même quelque chose se dilate en eux qui nous remplit d’aise et de joie. Là est le renouvellement de notre propre énergie.

Quid de ceux qui n’étant pas permissionnables, ne sortiront pas ?

Pour eux il faut mettre le corps en mouvement, il faut créer des circuits de circulation qui ne sont pas ceux prévus par l’incarcération : faire des reportages dans les murs, participer à des ateliers de création artistique, produire une prestation publique dans laquelle leur être unifié fera face à d’autres êtres certes libres mais placés à une même hauteur et dans le même acte de présence qui leur redonne la possibilité et le désir de se redresser. On peut alors sourire, applaudir, échanger, aller les uns vers les autres. La peur s’est dissoute de toute part.

Tout ce qui est proposé est en lien avec le thème étudié par ceux qui feront la visite au musée et pour ceux qui ne sortiront pas.

Alors pour préciser le processus de réhabilitation, de la remise en jeu du don-contre don, il faut une démarche et non une succession d’actions qui occuperait le temps mais ne lui restituerait pas son sens et sa fluidité.

Ainsi un élément du projet n’existerait pas pour lui-même mais renverrait toujours à un autre élément que lui-même. Par exemple, pourrions nous nous demander : est-ce la culture pour elle-même ? certes non. Est-ce l’émission de radio pour elle-même ? non bien sûr. Est-ce l’entraînement du corps, de la respiration, de la voix pour lui-même ? non. Est-ce la visite au musée pour elle-même ? encore non.

Mais chaque élément de l’action s’articule ou se met en écho de l’autre, un élément met en mouvement l’autre élément et ainsi une dynamique vitale est permise à l’insu de tous, annulant le mur, le portique, la serrure, la clef… L’être détenu peut se vivre unifié un court moment mais un moment vital pour se donner le droit à une reconstruction.

En conclusion, ce qui est toujours insupportable et qui motive nos travaux, c’est d’être devant un être humain soustrait à lui-même : qu’il soit détenu, malade mental, être souffrant, malade de la vieillesse ou être en fin de vie .

Ils font partie de ce monde pour les passions qui les ont animés, simplement parce que la vie leur est donnée comme à chacun d’entre nous.

Francine Auger-Rey, 28 sept 2015