Le projet s’appelle
« ATELIER RADIOPHONIQUE ».
Sa visée clairement
annoncée est la production d’émissions susceptibles d’être
diffusées sur des médias radiophoniques. Cela signifie aussi que
nous (les acteurs de l’atelier) allons couvrir plusieurs
« formats » de la production radiophonique :
reportages, documentaires, journaux d’informations, contes
radiophoniques, contes enregistrés en direct et en public, petits
billets, cartes postales sonores, etc…
Mais comment couvrir ce
champ dans un lieu empêché de mouvements, dans lequel la
circulation de l’information est rare et très réglementée ?
Par ailleurs, le fond de
la raison de l’existence de cet atelier, est d’arracher une
population à l’invisibilité, aux fantasmes qui justifient son
occultation, son éviction, comme s’il était possible de nier que
les détenus sont liés à la communauté humaine comme nos frères,
nos pères, nos voisins, nos amis, nos étrangers, nous enfin.
Donc, il faut que par leur
voix ils traversent les murs, et il faut qu’ils puissent
physiquement « sortir » pour accomplir leur tâche de
membres de la société contre notre gré ou avec notre aide.
Ces sorties sont donc des
missions qu’ils acceptent de prendre en charge. Voilà le rôle de
la production radiophonique justifié, mis à sa place : sortir
au musée ou ailleurs pour avoir l’occasion d’accomplir son
travail d’acteur du monde.
Il est de ma
responsabilité de leur proposer les attendus de la mission et de
leur donner les moyens de l’accomplir. De là vient le thème
choisi, de la viennent les différentes phases de l’action :
étude du thème, venue de conférenciers, étude des techniques
radiophoniques, formations avec intervenants expérimentés,
apprentissages des techniques ou visées de l’interview.
Alors la sortie peut se
faire et leur existence passer de l’ombre à la lumière un court
instant mais quand même quelque chose se dilate en eux qui nous
remplit d’aise et de joie. Là est le renouvellement de notre
propre énergie.
Quid de ceux qui n’étant
pas permissionnables, ne sortiront pas ?
Pour eux il faut mettre le
corps en mouvement, il faut créer des circuits de circulation qui ne
sont pas ceux prévus par l’incarcération : faire des
reportages dans les murs, participer à des ateliers de création
artistique, produire une prestation publique dans laquelle leur être
unifié fera face à d’autres êtres certes libres mais placés à
une même hauteur et dans le même acte de présence qui leur redonne
la possibilité et le désir de se redresser. On peut alors sourire,
applaudir, échanger, aller les uns vers les autres. La peur s’est
dissoute de toute part.
Tout ce qui est proposé
est en lien avec le thème étudié par ceux qui feront la visite au
musée et pour ceux qui ne sortiront pas.
Alors pour préciser le
processus de réhabilitation, de la remise en jeu du don-contre don,
il faut une démarche et non une succession d’actions qui
occuperait le temps mais ne lui restituerait pas son sens et sa
fluidité.
Ainsi un élément du
projet n’existerait pas pour lui-même mais renverrait toujours à
un autre élément que lui-même. Par exemple, pourrions nous nous
demander : est-ce la culture pour elle-même ? certes non.
Est-ce l’émission de radio pour elle-même ? non bien sûr.
Est-ce l’entraînement du corps, de la respiration, de la voix pour
lui-même ? non. Est-ce la visite au musée pour elle-même ?
encore non.
Mais chaque élément de
l’action s’articule ou se met en écho de l’autre, un élément
met en mouvement l’autre élément et ainsi une dynamique vitale
est permise à l’insu de tous, annulant le mur, le portique, la
serrure, la clef… L’être détenu peut se vivre unifié un court
moment mais un moment vital pour se donner le droit à une
reconstruction.
En conclusion, ce qui est
toujours insupportable et qui motive nos travaux, c’est d’être
devant un être humain soustrait à lui-même : qu’il soit
détenu, malade mental, être souffrant, malade de la vieillesse ou
être en fin de vie .
Ils font partie de ce
monde pour les passions qui les ont animés, simplement parce que la
vie leur est donnée comme à chacun d’entre nous.
Francine Auger-Rey,
28 sept 2015